Petit matin d’automne brumeux. J’arrive sur le circuit du Bourbonnais (03) avec ma cox bien chargée. Quatre roues, sac de course, combinaison casque et chaussons, cric rouleur et matériel divers. Le chargement standard pour une journée piste, presque une routine quoi ! Sauf qu’il s’agit aujourd’hui de drift !
Une nette impression de déjà vu me rattrape soudainement. Presque jour pour jour en octobre 1999, je me lançais timidement sur le circuit du Laquais (38) pour ma première journée piste. Un simple test avec ma 1200 de 72, boostée à l’époque par un 1600, qui donna jour plus tard à la saga DailyDriverCup . Dix ans plus tard, je remets ça ! Nouveau milieu, nouvelle discipline et nouveau public à conquérir.
Dans les paddocks, mes potos habituels me manquent tout de même un peu. Pas un 411 , une autre cox 1200 ou une 1303 à l’horizon, rien de rien en Flat4 aircooled !! C’est à ce moment que je réalise vraiment, et que je me dis : « là quand même, y a un truc pas normal ! ». Mais trêve de rêverie. Aidé d’Alysson (du Team DDC Hotcho) mon copilote du jour, nous faisons un top chrono vidage de l’auto express et changement des roues arrières. Monte en 185 surgonfflée à 3.5 bars pour le matin en Firestone (gomme plutôt tendre) la piste étant humide. Ma copilote Alyson insiste pour remettre le doigt limiteur de régime et je cède. Elle aura probablement sauvé mon moteur sur ce coup là ! Cinq minutes plus tard l’auto est prête et nous faisons le tour du paddock pour les présentations. Les contacts pris sur le site FDC (association qui organise l’évènement) prennent tous leurs sens et l’accueil est très enthousiaste.
Après le briefing, une petite file s’organise, les moteurs ronronnent. La Cox noyée entre les japonaises et autre BMW au look plus que stylisé à des allures d’anachronisme. Un décalage qui a aussi un parfum de chalenge, je ne le cache pas ! Car si j’ai pris goût à la conduite en glisse au milieu des gripeuses au fil des années, une journée 100% drift parmi des modernes reste le défit ultime. Surtout avec une machine si éloignée des canons de la discipline.
Levé de drapeau, les autos s’engagent et après un tour de chauffe les pneus commencent à cirer sur la piste humide. La reconnaissance pour ma part est inutile car je connais déjà le tracé depuis deux saisons. Je pensais venir et piloter avec mon petit niveau et point barre. Mais lancé au beau milieu de cette meute, on est vite obligé de repousser ses limites. Et c’est tant mieux !
Cette journée Training rassemble tous les niveaux. Du pilote de niveau européen au petit nouveau qui arrive avec sa BM 320i stock. Du coup, le handicap notable de ma machine (faible puissance et moteur en porte à faux arrière) est tout de même un peu estompé par mon petit capital pilotage, ce qui me permet de rester dans le flux. Face aux 200 ou 300 cv des autres autos, le 2100cc atmo reste la plupart du temps calé au rupteur à 6500 rpm. Mais aucun souci sur ce point, le moteur a été développé pour.
Le matin fut pour moi l’occasion d’aller au bout des techniques déjà connues : décrochage et mise en travers de la caisse au rétrogradage (SHIFT LOCK DRIFT), au lâché de puissance (POWER OVER) et au frein à pied (BRAKING DRIFT). Ensuite on fait patiner le plus longtemps possible le train arrière en gardant le bon angle dans la direction. Parfois pour maintenir le bon écart, quelques enchaînements en pilotage « grip » suffisent à me replacer devant un concurrent trop lent ou prendre de l’avance si un furieux se rapproche trop par derrière sans possibilité de doubler. Autant se servir de toutes les cartouches disponibles non ? Mais globalement le rythme et la vitesse moyenne ne sont pas excessifs, entre 70 et 120 dans les courbes. Les bouts droits sont utilisés pour relâcher la pression du pilote, refroidir la mécanique et se placer pour les prochaines courbes.
La pose de midi fut un moment de surprise pour quelques concurrents venus se renseigner sur l’équipement de cette cox qui bon gré mal gré tire son épingle du jeu. Le différentiel à glissement limité ? « pas besoin, boite stock simplement ré-étagée !» Le frein à main hydraulique ? « heu… FAM à câble sur disque, mais ne bloque pas les roues … ». Le turbo ? « Ah non, que 150 cv atmo au pire, mais sûrement moins ! » Un réel choc des cultures, le Bol de riz japonais high-tech face à la Choucroute allemande home made !
L’après midi, on passe le cap de l’acquis. Objectif Progression. Aidé des VWistes (merci les gars !) venus sur place, je suis les conseils de Pascal (Hotcho power encore) et passe en monte 205 Michelin Energie usure 70% , gomme plutôt dure. Le grip ainsi remonte, la vitesse de passage pourra être plus haute et la piste est maintenant sèche. Le cirage en 2eme rapport aura plus d’allonge (développement de roue). Et ma fois, il est grand temps de jeter l’auto dans les courbes rapides en 3eme aussi ! Mon grand complexe était (oui était !) de n’être pas à l’aise en courbe longue et rapide. Niveau de pilotage en drift et puissance trop faible à priori. Mais après observation des autres autos, finalement seuls les pilotes très confirmés driftent réellement sur ces courbes là. Beaucoup les passent gentiment en attendant la prochaine épingle courte où ils allumeront copieusement la gomme sur une 2eme hurlante.
Entre un passage gentillet et un passage fumant, j’ai trouvé mon créneau. Ma petite puissance ne me permet pas d’emballer le moteur à 6000 rpm en 3 en glisse, ce sera donc une glisse au couple à 3500-4000 rpm soit 110-120 km/h. Un décrochage progressif du à une vitesse excessive (KANSEI DRIFT), avec une prise d’angle tout de même marquée. Je vous passe mes hurlements de joie « ça passe en 3, ça passe en 3 ! » de retour au paddock…
Motivé, remonté à bloc, c’est ensuite sur les enchaînements (4 virages d’affilés) et les S en ligne droite que je travaille. En 2 la plupart du temps mais la 3 commençait à s’engager en fin de journée. Le frein à main étant inutilisable, c’est au frein à pied (pied gauche) que je dose la dérive avant courbe. Après un bon appel opposé au virage à venir, la reprise de grip (raquette) vous replace à l’équerre et je mets plein gaz jusqu’au prochain virage en patinage (FEINT DRIFT). Là, le relâché de gaz suffit à la reprise de grip, laquelle rebalance la caisse dans l’autre sens. Plein gaz à nouveau pour passer cette seconde courbe à l’équerre régime moteur au maxi. Et ainsi de suite 4 fois. Pas encore de nuage de fumée, mais une sympathique brume dans les rétros. « Yeeessss » Ca me suffit largement pour cette première journée. Je dois dire que le circuit de Pouilly en Auxois où j’ai fais mes débuts en drift a été très formateur.
A force de tourner, on repère vite les autos du même niveau. Un pilote sur Nissan S13 or m’interpelle lors d’une pause en paddock : « battle ? ». Là ça veut dire que tous les deux roulons ensemble ! Et voici la « Bastouilmobile » avec un monstre turboté et aileronnée aux fesses ! Quatre tour dans cet ordre, puis quatre tours avec moi derrière. Le feeling est bon. On est pas encore au 20 cm d’écart à 150 km/h que je me permet avec les potos en DDCup, mais se faire coucou en pleine glisse à 90 km/h par la portière a un certain charme. De retour aux paddocks, le fameux Doug me saute dessus ! Le meilleur battle qu’il a jamais fait me déclare-t-il. Temps mieux, moi c’est mon premier tout court !!
Puis on reprend la piste encore et encore, avec des BMW 325, Afla 75 turbo, Nissan flashies. Je vous passe les quelques pare choc arrachés, pont arrière démembré ou pneus fondus et éclatés, vases d’expansion fendus. Mon petit niveau a quelques avantages après tout. Juste un optique brisé par une projection, moindre mal.
La lumière décline et vient LA question de fin d’après midi : « J’y retourne encore quelques tours ? » Si durant ces quelques années de pistes j’ai pu apprendre quelque chose, c’est bien cela : quand cette question se pose dans la tête d’un pilote, c’est que la réponse est : « non, le prochain tour sera celui de trop ! »
C’est donc avec regret, mais aussi avec raison, que je dépose mon casque mouillé de sueur sur le capot de ma cox. Un regard circulaire dans les paddocks me renvoie à l’énormité de cette journée : qu’il est bon de ne pas être raisonnable et d’aller au bout de ses rêves.
Venez profiter du spectacle à la prochaine sortie Drift en Cox le samedi 27 novembre 2010 sur le Circuit de Lurcy Levis (03) !!
Bastien CHAIX